Dans son dernier livre « Encore un moment… » *, Edgar Morin prétend que « L’intellectuel a la tâche la plus difficile qui se soit jamais présentée dans l’histoire de la culture… celle de formuler une pensée apte à saisir la multi dimensionnalité des réalités, à reconnaître le jeu des interactions et rétroactions, à affronter les complexités .. ». Le RIFRESS, en promouvant le concept de responsabilité, tient le même raisonnement : le besoin d’une synergie entre les divers acteurs de santé pour façonner un système de santé, juste, efficace et pérenne. Nous sommes aujourd’hui en effet devant des « complexités » et sûrement Morin songeait-il aussi à l’Université en évoquant « l’intellectuel », car c’est le lieu par excellence où l’on pense beaucoup : pour faire de la bonne recherche, pour former les futures générations de citoyens, pour expérimenter de meilleures approches pour servir autrui.
Prenons un peu de recul ! Et observons que les grandes exhortations, tenues depuis ces trois dernières décennies, à l’échelle planétaire comme à l’échelle nationale, pour assurer un service de santé de qualité accessible à tous n’ont pas entrainé tous les effets espérés. Dans son dernier rapport sur les Objectifs de Développement Durable**, les Nations Unies reconnaissent que les progrès en matière de santé ne sont pas à la hauteur des attentes car une action vigoureuse et coordonnée sur les déterminants de santé s’est fait attendre, notamment en faveur de la réduction de la pauvreté, de l’illettrisme et de la discrimination, et la promotion d’un environnement sain et un vivre ensemble harmonieux. Autrement dit, c’est une incitation à comprendre la santé dans sa complexité et exiger des principaux acteurs de santé à prendre leur part pour relever les défis.
Certes, l’Université comprend en son sein, avec ses diverses facultés, écoles et instituts, le potentiel humain et intellectuel susceptible d’entreprendre des démarches multidisciplinaires pour aborder les enjeux complexes de la société et avoir un effet durable sur les déterminants de santé et bien-être tels qu’évoqués plus haut. Encore faut-il que la transversalité ou la complémentarité soit valorisée, expérimentée, enseignée, sujette à recherche et à application concrète sur le terrain.
Et pourquoi pas, susceptible d’être reproduite par d’autres acteurs de santé et servir à la refondation sociale. L’Université peut-elle formuler cette pensée nouvelle qu’appelle Morin, et servir de repère ? Nous le pensons car l’Université est un peu comme un joueur de cartes qui aurait beaucoup d’atouts en main mais serait trop timide pour les abattre sur la table et emporter la partie.
Attendons donc l’Université !
Autrement que dans la pièce de Beckett « En attendant Godot » où les protagonistes attendaient une figure transcendante pour les sauver et qui n’est jamais venue !
*Edgar Morin, Encore un moment, Denoël 2023
**United NaƟons, Times of crisis, times of change. Science accelerating transformaƟon to sustainable development, United Nations Global Sustainable Development Report 2023.